Après mon précédent article sur mes livres préférés de 2019, voici à présent tous les autres livres qui m’ont faite vibrer, même s’ils ne méritent pas – selon moi – la note maximale. Mélange de livres durs, livres courts ou livres pas assez engagés, j’ai eu du mal à m’immerger totalement mais j’ai appris beaucoup.

Les livres 4 étoiles

  • Gaël Faye, Petit pays (France/Rwanda)

J’avais découvert le Gaël Faye chanteur, slammeur, avec des mélodies magnifiques et des textes ciselés ; j’ai été ravie de rencontrer le romancier.
Il y a raconte son enfance au Burundi, entre les mangues et les bougainvilliers, les disputes parentales et les bandes d’amis, pendant que la guerre civile et le génocide des Tutsis se prépare.

C’est un roman magnifique qui oppose la naïveté des enfants aux atrocités de la guerre. Au fur et à mesure, le personnage principal grandit, se retrouve pris à parti dans les conflits, jusqu’à être rapatrié en France de toute urgence après qu’une grande partie de sa famille ait été décimée.
Quelques passages chocs, témoignages des assassinats de sang froid et de la folie qui assaille les survivants.
A ne pas mettre dans les mains des âmes sensibles donc, mais à conseiller à tous ceux qui veulent lire l’histoire du Rwanda et du Burundi à travers les yeux d’un enfant.

  • Maria Pourchet, Toutes les femmes sauf une

Toutes les femmes sauf une est un récit d’une mère qui met en garde sa future fille contre toutes les blessures et les rancœurs familiales qui pourraient se transmettre malgré elle. C’est une belle déclaration d’amour à son enfant qu’elle souhaite libre et indépendante dans ses décisions, libérée du poids des héritages moraux.
Elle critique également les violences obstétricales et la violence que subissent souvent les femmes à la maternité.
Elle met aussi en garde sa fille contre le sexisme, celui des hommes bien-sûr, mais aussi celui, plus invisible, des femmes entre elles.

  • Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour

S’apercevant que nombre de ses souvenirs se passent dans un hypermarché, Annie Ernaux prend conscience de la place que celui-ci occupe dans nos vies ; tant par le temps qu’on y consacre que par la nécessité qu’il comble en nous permettant de nous alimenter. L’autrice remet en question la place des hypermarchés dans la littérature : en effet, ces grands magasins, à la fois récents et relativement populaires, sont boudés par la grande et noble littérature.

Annie Ernaux décide donc d’en prendre le contre-pied, et nous dépeint son expérience du centre commercial des Trois-Fontaines, à Cergy, où elle fait régulièrement ses achats. Elle relate son vécu, date par date, à la façon d’un « journal des courses » : du simple relevé objectif de ses actions (pousser le caddie, attraper un paquet de gâteau en hauteur, faire la queue pendant quinze minutes) mais également de ses interrogations (de quoi ai-je besoin ?, est-ce que je n’achèterai pas ce produit en bio ?, est-ce que je ne me laisserais pas tenter par cette promo sur le bœuf ?, pourquoi la cliente me précédent est si lente à déposer ses articles sur le tapis ?).

Les premières pages passées, on comprend vite la portée critique de ce court roman. L’hypermarché n’a qu’un but : vendre toujours plus à la communauté des acheteurs. Tous les moyens sont bons : publicités plus ou moins mensongères toujours plus grandes, prix en gros caractères noirs sur fond jaune toujours plus flashy, remplacement immédiat des produits liés à une fête par une autre, afin de toujours surprendre le client et lui proposer des articles auxquels il ne pensait pas…

On retrouve également la dimension sociologique présente dans la plupart de ses romans : elle analyse les différentes classes sociales de gens qui vont faire leurs courses à Auchan, des grand-mères en déambulateur qui font leurs couses le matin aux étudiants et femmes voilées accompagnées de leur mari à partir de 20h. de même pour les rayons bios, grands, colorés et éclairés, fréquentés par la classe moyenne, et les rayons discount, gris, au fond du magasin fréquentés par des familles pauvres qui s’empresseront de mettre les 20 pains au chocolat à moins de 2€ dans leur caddie.

Elle critique également le rayon jouets séparés par genres : les jouets héroïques pour les garçons, et les jouets domestiques et esthétiques pour les filles. Les hommes perdus au rayon lessive, les bandes de copines au rayon maquillage. Elle dresse un portrait touchant de toutes ces personnes qui se croisent sans se connaître ni se regarder : ceux en jogging, celles en talons aiguilles qui rentrent de l’aéroport, les grands-parents avec leurs enfants, les femmes seules, les gens au téléphone dans une conversation animée, ceux qui, justement, vous adresse la parole pour se sentir moins seuls, ceux qui baissent les yeux…

Un beau roman humaniste qui donne envie d’accorder une attention nouvelle à son propre quotidien.

  • Toni Morrison, L’oeil le plus bleu (USA)

Pecola a 12 ans. Elle n’est pas belle, les enfants ne la regardent pas, ou alors c’est pour se moquer. Son père est alcoolique et bat sa mère. Ses parents sont très pauvres, et dorment avec elle et son frère dans une même pièce, avec au centre, l’unique radiateur.
Pecola aimerait avoir les yeux bleus comme Shirley Temple, tout serait plus simple. Elle voudrait être comme certaines filles de sa classe, aux jolis cheveux blonds passés au fer à boucler. Elle voudrait vivre là où les petites filles sont lavées tous les jours au savon par les domestiques, et mangent des gâteaux et des bonbons à chaque goûter.
Oui, mais Pecola est noire et vit dans une Amérique très raciste. Et surtout, Pecola est enceinte. Mais pas de son amoureux.

C’est un roman extrêmement dur qui nous immerge dans un foyer noir-américain dans les années qui suivent la Grande Dépression. Alcoolisme, inceste et viol, rien ne sera épargné au lecteur. Toutefois, c’est un témoignage nécessaire pour cette Histoire des USA ne soit pas oubliée.

  • Sefi Atta, Le meilleur reste à venir (Nigeria)

Un beau roman qui se passe à Lagos, au Nigeria, qui célèbre la sororité et l’indépendance des femmes. A travers les portraits d’Enitan et de Sheri, deux amies très différentes qui tentent d’échapper à l’oppression à l’école, puis à celle de leurs pères et de leurs maris, on apprend beaucoup sur le Nigeria et les difficultés à s’émanciper en tant que femme.
Il est aussi question de la guerre au Biafra, de la manipulation de l’opinion et de la censure.

  • Nnedi Okorafor, Qui a peur de la mort ? (Nigeria)

Etant une grande fan de la littérature nigériane – et en particulier des autrices nigérianes -, c’est tout naturellement que j’ai lu ce roman de Nnedi Okorafor.
C’était une belle découverte. Qui a peur de la mort est le premier roman ayant lieu dans une Afrique post-apocalyptique que je lis. On se retrouve quelque part sur le continent africain, dans une région où la guerre sévit depuis des centaines d’années entre la tribu et Nuru et des Okeke. L’héroïne, Onyesonwu, est une enfant « ewu » : une enfant du viol. Son père est un soldat Nuru, et le mélange des deux tribus lui donne un métissage particulier et reconnaissable qui lui vaut d’être mise à l’écart par presque tous.

(spoiler !) Elle va petit à petit s’émanciper, apprendre la sorcellerie, tomber amoureuse d’un autre enfant ewu lui-aussi sorcier, et tous deux vont apprendre à convoquer les esprits, se métamorphoser, et accomplir une vieille prophétie. (fin du spoiler)
L’autrice dénonce bien-sûr la guerre, mais aussi le viol des femmes comme arme de guerre pour anéantir les populations, l’excision forcée des filles par celles-mêmes qui l’ont subie et l’enrôlement forcé des garçons enfants-soldats qui n’ont d’autre choix que de tuer.

  • Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule

Excellente autobiographie qui aurait mérité 5 étoiles si elle avait été un peu plus longue.
C’est un livre qui a un peu du roman et un peu de la sociologie. Edouard Louis se raconte alors enfant, nommé Eddy Bellegueule par ses parents, dans une France rurale « sans histoire » mais pleine d’histoires : l’alcoolisme qui s’ignore, les violences conjugales, les châtiments corporels, la violence verbale, le foot, les menaces et les bastons dans les bars.

Il est question de ce qu’a vécu Edouard Louis à l’école : son comportement féminin moqué par tous (mais encore plus par les mâles de famille) et toute l’homophobie et le harcèlement scolaire qui va en découler, malgré ses tentatives de se trouver des copines pour « avoir l’air hétéro ». C’est aussi l’histoire d’une émancipation par l’école et par la littérature, seul moyen d’échapper à sa classe sociale et à son destin déjà tracé.

  • Mary Linn Bracht, Filles de la mer (USA/Corée)

Un livre très dur sur les jeunes filles coréennes envoyées comme filles de réconfort/prostituées aux Japonais. J’ai été honorée de découvrir la culture haenyeo, société matriarcale de plongeuses.
L’autrice dénonce le viol comme arme de guerre, à travers un discours militant. Cependant, les scène de viols et violence sont très (trop) nombreuses et on peut se demander quel est l’intérêt de le montrer autant.

C’est un récit très intéressant sur la guerre peu connue qui a opposé la Chine au Japon, avant que la 2e guerre mondiale ne s’en mêle. L’autrice écrit la vie de ses grand-mères comme un devoir de mémoire. En tant que lectrice, je suis touchée de pouvoir partager cette intimité, et de partager à mon tour ce devoir de mémoire commun à toutes les femmes en temps de guerre.

  • Chloé Delaume, Mes bien chères soeurs

Un bel essai proche du roman autobiographique/sociologique, qui m’a beaucoup rappelé Annie Ernaux ou Edouard Louis.
Chloé Delaume aborde les thématiques du féminisme bien-sûr, la sororité nécessaire, tout ce qu’a déclenché le hashtag #metoo, la terrible réalité des violences conjugales… Il y est également question du pouvoir du langage, des expressions et de l’influence de la pop culture.
C’est piquant, vif et parfois extrêmement drôle.

  • Isabel Allende, La maison aux esprits (Chili)

Une belle saga familiale chilienne où l’on suit 4 générations : des carrioles aux premières voitures, des lettres postées au téléphone, le tout sur fond de début du féminisme avec les suffragettes, et de socialisme face à la dictature.

J’ai beaucoup aimé les personnages féminins forts, attachants et ésotériques… D’ailleurs, ne lisez-pas ce livre si ça vous dérange que la salière se déplace seule sur la table, ou que le piano se mette seul à jouer !
L’écriture n’est pas « facile », il faut s’y retrouver entre les personnages qui portent le même prénom, mais le style m’a plu.
J’ai beaucoup appris sur le Chili, ses traditions et ses cultures, et ça m’a donné envie de lire d’autres livres d’auteurs et d’autrices chilien-nes.

  • Friederike C. Raderer und Rolf Wehmeier, Ich sollte wirklich üben ! -Je devais vraiment travailler !- (Allemagne)

Le premier livre allemand que j’arrive à finir ! Cette fois, ni féminisme ni sociologie : c’est un concentré d’anecdotes musicales très courtes (dans un format 11x17cm). C’est parfait, on peut lire une anecdote ou plusieurs pour entretenir son allemand, aller dormir, tout oublier, en en relire des nouvelles le lendemain ou trois mois plus tard.
On a apprend plein de choses sur différents musiciens, chefs d’orchestre et compositeurs, des caprices de diva aux interprètes qui n’ont toujours pas travaillé le matin-même du concert ; ça se lit facilement avec un bon B2, à condition que connaître un peu de präteritum et de vocabulaire musical 😉

  • Victor Dixen, Phobos

Je termine avec « la » saga qui m’a occupée ce mois d’août, et qui m’a bien plu, sans quoi je n’aurai pas lu tous ces tomes, faisant chacun plus de 400 pages. Phobos est une chouette série de 4 tomes + 1 tome qui retrace les « origines » des personnages principaux.
On y retrouve 12 candidats, 6 garçons et 6 filles à peines majeurs, destinés à fonder la première colonie humaine sur Mars. La mission est financée grâce à une télé-réalité en direct de leur fusée, qui retransmet non seulement les querelles et amitiés mais aussi le « speed-dating » spatial destiné à former les futurs couples.

L’idée est chouette mais le roman est parfois niais, probable conséquence du public-cible adolescents/jeunes adultes.
Toutefois, j’ai trouvé les cinq tomes assez égaux en qualité, très faciles à lire, avec une jolie critique du pouvoir et de la télé-réalité, où tout est scénarisé à l’avance et où les pires coups sont possibles pour gagner en audimat.

Voilà, ce bilan des livres 4 étoiles touche à sa fin. Je les ai tous beaucoup appréciés. Je suis contente d’avoir pu lire une si grande diversité d’auteurs et surtout d’autrices, et d’avoir découvert par la lecture des pays et des histoires que je connaissais peu.

Vous pouvez également découvrir les livres qui m’ont beaucoup moins plu : cliquez ici pour lire mon article sur les livres qui n’ont mérité que 2 ou 3 étoiles en 2019.

Et vous, qu’est-ce que vous appréciez dans vos lectures ?