Des écrivaines
Chères toutes, chers tous, aujourd’hui ce n’est pas Julien qui écrit mais Léa, sa chérie et co-autrice de ce blog. Il était grand temps que j’écrive moi aussi un article alors, pour bien commencer, j’ai choisi un sujet qui me tenait à cœur : les écrivaines. Oui, oui, vous avez bien lu « écrivaines », pas écrivains.
A savoir, même si vous l’avez bien compris, les femmes qui ont consacré leur vie ou une partie de leur vie à la littérature.
Pourquoi choisir d’employer ce mot qui fait grincer des dents les plus traditionalistes d’entre vous ?
Eh bien, sachez que d’une part, les règles de masculin qui l’emporte n’ont été fixées que très tardivement par l’académie française, elle-même composée à l’époque exclusivement d’hommes (tiens-donc). D’autre part, les féminisations des noms étaient courantes à l’époque mais ont été supprimées, toujours au profit de ce masculin qui l’emporte, mais pas dans tous les métiers quand même : par un grand hasard, les métiers peu reconnus de femme de ménage, d’infirmière et de secrétaire ne posent aucun problème dans l’imaginaire collectif.
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Alors, me direz-vous, « d’accord d’accord, mais ça sonne moche ». Certes, ça m’est arrivé de penser ça au début, mais tout n’est qu’une question d’habitude. Et plus personne ne sursaute aujourd’hui quand quelqu’un propose d’envoyer un « texto », mot qui est pourtant récent. Par contre, une femme qui écrit…
Les mots structurent la pensée
Car voilà, la deuxième et principale raison est davantage politique : quand on sait que les mots structurent la pensée, se priver de mots bloque notre raisonnement. Ce qui n’a pas de nom n’existe pas. Et ce n’est malheureusement pas une citation bateau destinée à vous embobiner.
Voici donc un petit test :
Pouvez-vous nommer cinq écrivaines ?
Petite difficulté supplémentaire : pouvez-vous nommer cinq écrivaines francophones ?
On me souffle dans l’oreillette que la plupart d’entre vous ne peut en citer qu’une ou deux… Et c’est normal. Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question, je préfère couper court à la justification historio-culturelle qu’on me ressort à toutes les sauces : si, si, depuis que les êtres humains maîtrisent l’écriture, les femmes aussi ont écrit. Il y a de très nombreuses écrivaines, et pas seulement dans le monde occidental. Et si, si, leurs romans, autobiographies et autres essais et nouvelles égalent tout à fait des œuvres masculines. Alors, pourquoi ne sont-elles pas ou très peu connues ?
L’invisibilisation des écrivaines
Si l’on connait si peu d’écrivaines, c’est parce que celles-ci sont invisibilisées. Qu’est-ce que ça veut donc dire ? Ca signifie qu’on ne les voit (et lit) nulle part, et ça commence bien-sûr par l’école : sous le prétexte d’étudier les graands classiques mmhhh voyez-vous, tels que Hugo, Musset ou encore Zola, on n’étudie aucune littérature féminine car bon, si elles sont moins moins connues, il y a sûrement des raisons (comprendre ici que leur travail serait inférieur), donc bon, déjà que personne ne lit nos grands auteurs qui font notre réputation dans le monde entier, on ne va pas en plus se mettre à lire des autrices inconnues ! (d’ailleurs, autrice, ça aussi ça vous fait grincer des dents ?).
Rappelons à toutes fins utiles que la première fois qu’une œuvre d’une écrivaine a été au programme du bac était en 2017, suite à une pétition lancée par des féministes afin d’inverser la tendance… Car si les jeunes lisent moins (quoi que, ça reste à prouver), si l’école ne leur fait pas connaître nos grandes écrivaines (car oui, nous avons, et de nombreuses), qui le fera ?
A l’origine de ce cette pétition, l’excellente planche de la bédéaste Diglee, Femmes de lettres, je vous aime.
Les écrivaines sont également bien moins présentes que leurs homologues masculins dans les librairies, les bibliothèques, lors des émissions culturelles, des émissions et reportages tv grands publics, sur internet, dans les publicités… Et quand elles le sont, c’est souvent au prix de nombreux commentaires sur leur physique, leur vie amoureuse, quand ce n’est pas pour leur demander si à force d’écrire elles n’en oublieraient pas de faire des enfants. Ecrire c’est bien, mais conserver son rôle de femme douée mais quand belle et surtout bonne mère de famille, c’est mieux.
La décrédibilisation des écrivaines
Alors bon, on découvre une écrivaine, un roman… Ca commence bien, mais ça s’arrête net grâce à de charmants commentaires plein de bonne intentions : oui, telle femme a écrit un roman, c’est chouette, mais tu ferais mieux de lire l’intégrale de Zola, à ton âge en plus… Alors disons stop dès maintenant à l’esprit de hiérarchie dans la littérature, avec en haut Hugo, au milieu Lévy et tout en dessous les auteurs et autrices de bandes-dessinées. Nous avons tou-te-s nos préférences, mais ce n’est pas en critiquant systématiquement quelqu’un qui adore les bandes-dessinées ou qui se complaît à lire et relire des « romans de gare » qu’on fera avancer quoi que ce soit. Vous seriez d’ailleurs peut-être surpris-e-s de la qualité poétique ou littéraire de nombreuses bandes-dessinées et pourriez découvrir que dans les rayons des romans à succès se cachent des petites pépites.
Bref, nous divaguons mais gardons à l’esprit que tout est bon pour vous dissuader de commencer un livre écrit par une femme. Notamment la fameuse critique de « l’écriture féminine » qui serait – selon bon nombre de personnes machistes – douce, plaintive, et surtout, qui ne se lasserait pas de parler de ses émotions. Comme les femmes, quoi. Non ?
Une fois encore, désolée de vous décevoir, mais selon une étude récente, il serait prouvé que les livres ne seraient écrits ni par des pénis, ni par des vulves, et que donc, jusqu’à preuve du contraire, le sexe de la personne écrivant n’influencerait pas le contenu. Je vous laisse d’ailleurs me dire qui de Marc Lévy ou Virginie Despentes est le plus à fleur de peau.
Autre point important : le « j’ai déjà lu un roman d’une femme, et je n’ai pas aimé ». Très certainement, et je ne vous jetterai pas la pierre. Car les romans des écrivaines sont aussi divers que ceux des écrivains et que chacun a ses préférences. Toutefois, est-ce qu’après avoir tenté de lire L’Education Sentimentale en 5e en vain, vous avez décidé de ne plus jamais ouvrir un livre d’auteur masculin ? Je ne pense pas. Alors, pourquoi réserver ce sort aux écrivaines ?
Le vol des écrits et leur censure
Enfin, un dernier argument et non des moindres : leur travail a souvent été volé, diffamé, quand il n’est pas censuré. Je pourrais citer notamment les œuvres Madame de La Fayette que j’ai étudiées au lycée, dont mon cher professeur de français nous avait clairement expliqué que cette écrivaine avait tout simplement volé le travail de son ami La Rochefoucauld. Et que celui-ci aurait bien gentiment consenti à ce que ses écrits soient publiés sous un autre nom. Mon professeur nous expliqua également que Louise Labé (poétesse de la Renaissance) n’aurait jamais existé, celle-ci serait en effet la création de Maurice Scève, autre poète de la même époque… La seule raison soutenant cette théorie étant que, quand même, on a peu d’éléments biographiques concernant Louise Labé, c’est sûrement parce qu’elle n’a jamais existé. C’est vrai qu’au seizième siècle, les biographes s’intéressaient tout particulièrement aux femmes écrivaines bien-sûr…
Parce que hein, à cette époque là, une femme qui écrive, et bien en plus, vous n’y pensez pas ! C’est ainsi que j’ai bien gentiment répété pendant les épreuves de mon baccalauréat que ces deux « écrivains » comme je disais à l’époque, ne l’avaient en réalité jamais été.
J’appris plus tard que tout ceci était en fait complètement faux.
A l’inverse, plusieurs romans de Colette ont été publiés sous le nom de son mari (celui-ci ayant bien réussi à tirer parti de sa situation de mari d’écrivaine de talent) et les préfaces – encore aujourd’hui ! – expliquent calmement qu’il serait une erreur de croire qu’ils ont été écrits par Colette. Pourtant, c’est bien elle qui les a écrits, mais une idée reçue depuis des siècles paraît plus crédible d’une vérité nouvellement prouvée.
Alors donc, il y aurait de nombreuses écrivaines dont beaucoup pleines de talent, qui écriraient dans toutes les langues du monde…
Pourquoi est-ce important de lire des écrivaines ?
Tout d’abord, et c’est assez primaire comme réponse, mais parce que vous les faites vivre. Au même titre que vous avez acheté le dernier album de votre claveciniste préférée parce que vous aimez la façon dont elle joue et que vous voulez la soutenir financièrement, au même titre que vous préférez vos légumes quand ils sont produits près de chez vous et en agriculture biologique pour favoriser l’agriculture bio et locale, c’est en achetant des romans que vous permettez aux écrivains et écrivaines de vivre de leur art. Et ces dernières vendant plus difficilement, si vous pouvez les soutenir, faites-le.
Ensuite, c’est important de lire des récits d’hommes ET DE FEMMES pour avoir une notion globale d’une époque, d’un pays ou du monde en général. De même que pour étudier la question de l’esclavage aux Etats-Unis il ne viendrait à l’idée de personne de lire uniquement les écrits des riches propriétaires blancs, pour saisir une réalité nous avons besoin de l’appréhender dans toute sa diversité. Rappelons tout de même que nous représentons 52% de l’humanité, il serait peut-être temps de faire entendre notre voix. D’autant plus que dans la grande majorité des sociétés d’aujourd’hui et du passé, les femmes étaient jugées inférieures aux hommes, avec de nombreux droits en moins, quand elles n’étaient pas mariées de force avec interdiction de donner leur avis sur quoi que ce soit. Il me paraît donc plus que nécessaire de lire aussi des livres d’écrivaines, afin de ne pas concevoir ce qu’est ou était la condition des femmes à travers des yeux masculins.
Une conclusion ?
Pour terminer cet article, je préciserai que si je vous incite fortement à découvrir ou redécouvrir des écrivaines, je ne vous déconseille pas pour autant de lire des écrivains hommes. Il y a autant de livres merveilleux dans les deux genres. Cependant, vous serez amené-e-s (par la société, les médias, la publicité et vos ami-e-s qui vous veulent du bien) à lire tellement de ces écrivains masculins, que si vous ne vous forcez pas un peu à découvrir ce que vous ne connaissez pas, vous risqueriez de passer à côté d’une grande partie de la littérature. Et promis, vous ne risquez pas d’être déçu-e-s.
J’espère que cet article vous a plu, merci de m’avoir lue jusqu’au bout ! Dans un article suivant, je vous parlerai de quelques écrivaines ainsi que quelques œuvres pour guider vos nouvelles listes de découvertes littéraires 🙂
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