Me voici de retour pour vous parler d’un roman qui m’a beaucoup touchée : Rivage de la colère de Caroline Laurent. Je vous laisse découvrir ma critique ci-dessous et vous propose d’accompagner votre lecture par une chanson chagossienne de séga, en créole : cliquez ici.

Caroline Laurent nous plonge dans une fiction extrêmement bien tissée et basée sur la vraie histoire des habitants des Chagos, archipel au nord de l’Océan Indien. Plages de sable fin à perte de vue, cocotiers, peaux brunies par le soleil, démarches chaloupées rythmées par le séga… Cela ressemble au Paradis. Pourtant, le quotidien des Chagossiens est dur : le seul travail est celui dans les découpes de coco, la nourriture très basique car les autres pays leur envoient peu de ressources, et les boissons sont très alcoolisées pour aider à tenir les journées très répétitives. Surtout, ils vivent coupés du monde : pas de papiers d’identité car tout le monde se connaît, pas d’argent car tout le monde travaille et reçoit en échange un logement et de quoi manger, pas de professeurs et pas d’école car le quotidien des Chagossiens est de couper des noix de coco. Si ce quotidien est dur, les habitants s’en accommodent. Jusqu’à ce que les grandes puissances occidentales s’en mêlent et décident de se répartir les îles du Pacifique comme on partagerait des billes dans la cour de récréation.

On suit une famille de Chagossiens, depuis l’enfance de Marie-Pierre Ladouceur jusqu’à la vie d’adulte de son fils Joséphin. On s’habitue avec eux au calme, à la mer, à la douceur du lait de coco, avant d’en être arraché brutalement. Car l’histoire des Chagos, c’est l’histoire d’une trahison : lors de l’indépendance de l’île Maurice (qui était précédemment gouvernée par le Royaume-Uni), les Anglais ont passé un pacte avec le gouvernement Mauricien, lui donnant l’indépendance à condition d’accorder Diego Garcia (île des Chagos) aux USA. Clairement, les manœuvres politiques sont rarement simples à comprendre mais si vous lisez le livre ça se fera tout seul. Les Chagossiens se retrouvent donc du jour au lendemain littéralement « déportés » à Maurice, sans bien-sûr être prévenus, ni à l’avance ni à bord du bateau, et vous imaginez bien que les Mauriciens ne les accueilleront pas à bras ouverts.

Ce roman est une quête de justice de l’autrice Caroline Laurent, elle-même franco-mauricienne par sa mère, qui lui parlait des Chagos dans sa jeunesse. En apprenant le drame de ce peuple, aujourd’hui encore en procès en Cour Internationale de Justice, elle a souhaité mettre en avant ce destin de tous les Chagossiens, brisés et sans l’ombre d’une reconnaissance internationale pour ce qu’ils ont perdu – et ne retrouveront peut-être jamais. Car oui, au-delà des pertes personnelles, émotionnelles etc, Diego Garcia étant devenue une base militaire US (placement stratégique pour pouvoir viser plusieurs continents) soupçonnée d’habiter une grande prison à hauts risques où les suspects seraient interrogés et torturés, cela va sans dire que les USA et le Royaume-Uni, en tant que grandes puissances occidentales, refuseront aux Chagossiens de revenir sur leurs terres pendant encore de nombreuses années !

« Hélas, la justice ne se fonde pas sur la souffrance humaine mais sur la légalité. Puisque Maurice a signé librement le détachement des Chagos, comment convaincre la Cour que notre détresse l’emporte sur la loi ? Comment prouver autrement que par les larmes qu’un accord politique ne peut ni ne doit passer avant le déracinement d’un peuple ? »

J’ai beaucoup aimé les dialogues en créole qui retranscrivent l’ambiance à merveille, ainsi que la critique du racisme (étonnamment) si présent dans des populations noires et métisses : entre les Chagossiens lourds et bien bâtis, au nez épaté et les Mauriciens plus fins et plus occidentaux, mais également avec les Indiens locaux…

« Le métissage, c’est toujours trop ou pas assez. Pas de recette, pas de dosage. Quoi que vous fassiez, vous serez pris pour celui que vous n’êtes pas. »

Je suis heureuse d’avoir rencontré ce livre et d’avoir découvert cette histoire que je qualifierais de rocambolesque si elle n’était pas réelle… La quête de justice de ce peuple analphabète qui n’a plus à rien à perdre m’a beaucoup touchée, ainsi que la fiction en elle-même : j’ai trouvé les personnages riches, les thèmes abordés sont extrêmement variés et justes, des relations familiales complexes à l’exil, en passant par l’expérience de la maternité, de la paternité mais aussi du deuil. J’ai espéré très fort que les Chagossiens gagnent leur procès et j’ai eu envie d’en connaître davantage sur la culture chagossienne après cette lecture.

Je vous conseille vivement cet excellent roman.

Sources des images :
« ce qu’est devenu Diego Garcia (2017) » : @dxcoffee sur Twitter
« une situation géographiques stratégique » : Chagos Archipel: Disput im Indischen Ozean sur raonline.ch
La jaquette du livre Rivage de la colère de Caroline Laurent : Cultura
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